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La spéciation

Article de biologie évolutive sur les mécanismes et processus à l'origine de la naissance de nouvelles espèces Voir descriptif détaillé

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Le Projet

Qu’est ce que la spéciation ?

On appelle spéciation le processus qui conduit à la naissance de deux espèces filles à partir d’une seule. La compréhension de ce processus est importante pour mieux appréhender la diversité et l’évolution du vivant. Comprendre la spéciation c’est comprendre d’où vient la diversité des espèces actuelles, ainsi que les liens qui unissent ces espèces.

La notion d’espèce est ancienne, puisque déjà Platon avait observé que si l’on voyait des chevaux et des vaches et jamais d’hybride entre cheval et vache, il devait exister une « forme idéale » qui contraignait l’animal à être l’un ou l’autre. La théorie des formes de Platon s’applique aux êtres vivants, qui sont les représentants matériels d’une idée ou forme idéale n’appartenant pas au monde tangible mais au domaine de la connaissance intuitive.
Depuis quelques centaines d’années se sont succédées plusieurs visions différentes de ce qu’est une espèce.
D’abord, la notion d’espèce pré-évolutionniste prévalait. L’espèce se définissait alors dans un cadre créationniste : pour Carl Von Linné, naturaliste et taxonomiste suédois du 18e siècle, il y avait autant d’espèces aujourd’hui que de formes diverses créées. Les espèces étaient considérées comme la création de Dieu et étaient à ce titre immuables. En pratique, on considérait que deux individus pouvaient appartenir à une même espèce s’ils se ressemblaient et qu’ils étaient interféconds.

Après la « révolution Darwinienne », la définition de l’espèce ne change pas radicalement, mais on ne se soucie plus tellement de la ressemblance entre individus pour rassembler les individus en espèces : il suffit qu’ils soient capables d’avoir une descendance. Darwin a simplement introduit dans l’étude des espèces un nouveau cadre explicatif qui ne s’appuie plus sur la théologie comme c’était le cas auparavant. Il se base essentiellement sur la notion de sélection naturelle qui opère au sein d’une même espèce et agit sur la variabilité de cette espèce.

De nos jours, on définit l’espèce par rapport à la théorie de l’évolution : il faut que les individus puissent se reproduire et que la descendance soit féconde. Un réseau généalogique relie alors les organismes d’une espèce : les individus de ce réseau sont théoriquement interféconds. Lorsque le réseau généalogique est fragmenté de façon définitive, c’est qu’il y a eu séparation en plusieurs espèces.

Comment les biologistes procèdent ils, en pratique, pour savoir s’ils ont affaire à une espèce ou non ?

On utilise plusieurs critères de reconnaissance des espèces, mais ces critères peuvent rencontrer des limites et sont souvent sujet à débat. On préfère donc généralement utiliser au moins deux critères à la fois pour un résultat qui soit le plus objectif possible.

- le critère phénétique (ou morpho physiologique)

Il faut que la descendance ressemble à ses parents. Les variations entre individus ne doivent pas résulter des contraintes de l’environnement. Ce critère se heurte à une limite dès qu’on a affaire à deux espèces récemment séparées. En effet, elles ne peuvent plus se reproduire mais partagent encore des caractères ancestraux : elles possèdent encore des traits de leur ancêtre commun et se ressemblent donc sur ces traits ; par exemple, certaines espèces de souris ne se différencient que par la longueur de leur queue, ou des oiseaux par leur chant, les autres critères de reconnaissance étant égaux par ailleurs. Le critère phénétique ne suffit donc pas dans ce cas là.

- le critère phylogénétique : ce sont les caractères dérivés qui permettent de retracer l’histoire des branchements dans l’arbre généalogique. Certains caractères sont neutres à la sélection, et donc le temps de fixation dans la population dépend de la taille de celle ci.

- le critère biologique (interfécondité)

Il faut que les organismes puissent se reproduire entre eux. Cependant, ce critère est difficile à appliquer dans certains cas. Par exemple, il est n’est d’aucune utilité dans le cas d’organismes asexués ou d’espèces capables d’hybridation occasionnelle (les tigres et les lions par exemple). Il est aussi difficile à mettre en pratique lorsqu’on ne peut pas vérifier que deux individus peuvent se reproduire (reproduction difficile en captivité pour certaines espèces par exemple), même si on peut regarder s’il y a des flux de gènes intra et inter groupes en utilisant des marqueurs moléculaires.

- le critère écologique

L’espèce est une communauté reproductive de populations. Ces populations sont isolées d’autres communautés et occupent une niche écologique spécifique. Il est cependant difficile dans certains cas de délimiter la niche écologique.

Pour comprendre la spéciation, on étudie les mécanismes qui ont conduit des sous ensembles du réseau généalogique à ne plus échanger de matériel génétique, c’est à dire à devenir des espèces distinctes. On dit que ce sont des mécanismes d’isolement reproductif.

Les mécanismes d’isolement reproductif

- isolement pré-zygotique : formation des hybrides impossible

- >isolement écologique : Diminution de la probabilité de rencontre des deux espèces.

Cet isolement peut être dû à la géographie du milieu, lorsque des individus différents génétiquement se spécialisent sur des niches écologiques différentes, entraînant l’impossibilité de rencontres fréquentes. Par exemple, certains champignons parasites se spécialisent sur un type de plantes hôtes particulier et ne s’hybrident que sur ces plantes.
L’isolement écologique peut également être dû à des périodes de reproduction différentes, comme par exemple pour des plantes qui fleurissent en fonction de critères environnementaux variables (température, humidité du sol, luminosité etc). Finalement, on peut avoir un isolement lié à des vecteurs, comme dans le cas des angiospermes pour lesquels la reproduction se fait par le biais d’insectes pollinisateurs très spécifiques.

- >isolement comportemental

Des différences génétiques peuvent être à l’origine d’une spécialisation des individus avec des systèmes de reconnaissance complexes des partenaires sexuels. Ces systèmes de reconnaissance peuvent faire intervenir des signaux visuels ou auditifs (chants et parures nuptiales des oiseaux), tactiles, chimiques, ou encore des comportements élaborés qui empêchent les rencontres lorsqu’ils ne sont pas reconnus par le partenaire potentiel.

- >isolement mécanique

Lorsque les partenaires se sont reconnus, on peut encore avoir un autre type d’isolement pour les espèces à fécondation interne, lorsque les pièces génitales des partenaires sont en inadéquation. Chez les insectes par exemple, les pièces génitales sont sclérifiées (donc très rigides), et s’imbriquent parfaitement lorsque les partenaires sont de la même espèce. La moindre variation de forme des genitalia (pièces génitales) d’une espèce à l’autre rend donc la reproduction impossible entre les partenaires.
D’ailleurs, chez certaines espèces qui ne présentent pas de différence phénotypique évidente, le seul moyen pour les biologistes de les distinguer est de regarder ces pièces génitales.

- >isolement par incompatibilité gamétique ou génomique

Pour que la fécondation interne ait lieu, il est nécessaire d’avoir une compatibilité moléculaire entre les gamètes (plus précisément entre les enveloppes des ovules et des spermatozoïdes). Chez les mammifères par exemple, la fécondation n’a lieu qu’après le succès d’une série de réactions entre les gamètes : capacitation des spermatozoïdes (la coque de protéines qui les entourent est détruite), réaction acrosomiale (réaction de fragmentation de la membrane acrosomiale du spermatozoïde qui permet la libération d’enzymes nécessaires à la pénétration du spermatozoïde dans l’ovule) et réaction corticale (la paroi de l’ovule se modifie lorsqu’un spermatozoïde est entré, afin de bloquer l’entrée des autres).

- isolement post-zygotique :

Dans ce second cas, les génotypes hybrides peuvent être créés mais ils ont une valeur sélective inférieure aux génotypes parentaux. Ceci peut conduire au non développement d’un embryon formé (entre une chèvre et un mouton par exemple), ou bien à la naissance d’hybrides viables mais qui ne pourront pas avoir de descendance (entre un lion et une tigresse par exemple). Parfois cependant, les hybrides ont une valeur hybride élevée sur plusieurs caractères, mais une valeur sélective nulle. C’est le cas du mulet (croisement entre un âne et une jument) qui est très vigoureux, a une bonne survie et une bonne croissance, mais ne peut pas avoir de descendance.

Les modes de spéciation

- spéciation sans flux de gènes : allopatrie

Dans le cas où deux populations ont été séparées par des barrières physiques (par exemple à cause de la dérive des continents ou de la formation de montagnes) des mutations vont apparaître chez des individus, et pourront se fixer, provoquant la différenciation des deux populations initialement homogènes génétiquement. Cette différenciation se fera lentement si les mutations ne se fixent que sous l’effet de phénomènes stochastiques (dérive génétique : fixation des mutations en fonction de la taille de la population) et plus rapidement si l’environnement exerce une pression de sélection forte sur les caractères liés à la mutation concernée. On trouve des exemples frappants de spéciation allopatrique dans un contexte d’insularité : au Pléistocène, il y avait sur chacune des îles méditerranéennes une espèce d’éléphant nain différente (Elephas falconeri en Sicile, Crète, Malte). Ces espèces avaient pour ancêtre commun un éléphant des forêts européennes et asiatiques appelé Elephas antiquus. Durant la dernière période glaciaire, le niveau de la mer était plus haut, et les îles étaient séparées par peu de distance, voir parfois reliées par la terre. A la fin de l’ère glaciaire, la montée du niveau de l’eau a entraîné l’impossibilité pour les éléphants de continuer à circuler. L’insularité a donc accéléré la spéciation par l’isolement reproducteur et la sélection de caractères particuliers comme la petite taille dans ce cas.
NB : Il est possible que le crâne de cet éléphant ait pu inspirer le personnage du Cyclope (Polyphème) dans l’Odyssée d’Homère...

- spéciation avec flux de gènes : exemple de la sympatrie

En sympatrie, il n’y a pas de barrières géographiques au flux de gènes, ce sont les génotypes qui déterminent la probabilité de croisement entre les individus. Chez les espèces sympatriques, c’est souvent un même gène qui contrôle l’adaptation à la niche écologique et le choix du partenaire sexuel. Ceci renforce l’isolement reproductif des deux espèces en sympatrie et donc aussi la spéciation.
On observe actuellement un processus de spéciation sympatrique probable entre les populations d’orques du Pacifique migrantes et non migrantes. Ces deux formes ont pour habitat le même océan mais n’ont pas les même proies ni les mêmes émissions vocales et ne se reproduisent pas entre eux. On n’observe cependant aucune différence morphologique et physiologique, et la reproduction est encore possible. Ce ne sont donc pas encore des espèces différentes, mais le flux génique est interrompu, ce qui conduira certainement à terme à l’apparition de deux espèces différentes.

Conclusion

Comprendre les mécanismes à l’origine du processus de spéciation est indispensable pour mieux appréhender la complexité et la diversité du vivant. Pour étudier la spéciation, il est nécessaire de savoir différencier les espèces et donc d’établir des critères de délimitation des espèces entre elles. Différents critères sont applicables, mais aucun n’est pleinement satisfaisant s’il est utilisé seul. On préfère donc en combiner au moins deux lorsque cela est possible. C’est l’isolement reproducteur qui est à l’origine de la spéciation. L’isolement reproducteur peut être pré-zygotique (la formation des hybrides n’est pas possible) ou post-zygotique (l’hybride peut être formé, mais il n’est pas viable ou bien il est viable mais stérile). Finalement, les contraintes environnementales font que l’on pourra rencontrer des cas de spéciation avec flux de gènes (on parlera alors de spéciation allopatrique) ou sans flux de gènes (comme dans le cas de la sympatrie).
A l’heure actuelle, les mécanismes profonds de la spéciation sont étudiés essentiellement grâce aux données de la génétique. En effet, depuis peu nous avons accès en biologie à une quantité d’information génétique très importante, comme jamais encore auparavant. L’enjeu à présent est de savoir trier ces données et les traiter de façon à avoir des résultats interprétables avec les moyens dont on dispose.

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