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Fourmis et coévolution, ou comment une espèce réussit-elle dans le maintien de l’équilibre de son écosystème...

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Introduction

"Pendant les quelques secondes qui vont vous être nécessaires pour lire ces quatre lignes.
- 40 humains et 700 millions de fourmis sont en train de naître sur Terre.
- 30 humains et 500 millions de fourmis sont en train de mourir sur Terre."
(Bernard Werber)

Le Journal de Bord

Comme tous les arthropodes, les fourmis se caractérisent par une symétrie bilatérale et une métamérie hétéronome, elles sont pourvues de régions morphologiques articulées (tête, thorax et abdomen), dont le corps est protégé par un revêtement cuticulaire formant l’exosquelette (PARENTI, 1969).

Dinoponera australis posant sur une page du texte classique de William Morton Wheeler : « Fourmis : structure, développement et comportement » (1910)

Selon les espèces elles mesurent de 0.2 (Solenopsis fugax) à 4 cm (Dinoponera grandis), mais ces tailles varient également de manière intraspécifique en fonction de leur appartenance à une caste (reine, ouvrière, soldat…). Ainsi, à première vue, les fourmis peuvent paraître bien rudimentaires, voire même faiblardes en comparaison de la complexité et de la taille des nombreux vertébrés qui nous entourent (mammifères, oiseaux, amphibiens, reptiles, poissons). Pourtant, évitons de nous fier à nos yeux car s’il y a bien un animal qui a réussi, c’est la fourmi.

Différents stades de développement chez Pseudomyrmex gracilis
Les fourmis, comme les papillons, connaissent une métamorphose complète : oeuf, larve, pupe, adulte.

Cet hyménoptère holométabole (c’est-à-dire avec un développement successif) est en effet très loin d’être menacé d’extinction. Le nombre d’espèces répertoriées était de 8804 il y a 25 ans (WILSON, 1988) ; ce nombre varie actuellement entre 9 000 et 12 000, il pourrait atteindre 20000 si l’on tient compte des nouvelles espèces décrites depuis l’exploration de la canopée des grands massifs forestiers tropicaux. Chaque espèce inclut un grand nombre de colonies, chaque colonie beaucoup de fourmis. On estime leur population totale à 10 millions de milliards d’individus. Dans la forêt humide d’Amazonie, le poids sec par hectare de toutes les fourmis est approximativement 4 fois supérieur à celui de tous les vertébrés terrestres (HÖLLDOBLER & WILSON, 1990). Ce succès écologique est avant tout un succès évolutif...

Une société en harmonie

La reine des fourmis chez Camponotus papago
Après fécondation durant son vol nuptial, elle perdra ses ailes et pondra toute sa vie, apportant ainsi tous les individus nécessaires à la création et au bon fonctionnement de la colonie.

Toutes les espèces de fourmis décrites à ce jour sont eusociales :
-  Soins coopératifs aux jeunes
-  Présence de castes stériles
-  Chevauchement des générations

Les causes de l’évolution de la vie sociale sont encore débattues et sont très certainement multiples, découlant ainsi de facteurs génétiques et environnementaux (voir PASSERA et ARON, 2005, pour un résumé) :
-  Sélection de parentèle (« kin selection ») : r.B > C, où « r » est le degré d’apparentement avec le receveur, « B » est le bénéfice du receveur et « C » est le coût personnel (cette théorie contribue à expliquer l’évolution des castes stériles) (HAMILTON, 1964)
-  Bénéfices du mutualisme (WEST-EBERHARD, 1987)
-  Parasitisme social (CHARNOV, 1978)
-  Bactéries endosymbiotiques (HURST et al., 1997)...

2 Crematogaster opuntiae s’échangent du nectar
Cet échange est aussi un moyen de communication appelé trophallaxie. Ce processus transmet des informations sur le type de nourriture et permet d’ajuster la signature chimique de la colonie.

Les fourmis sont complètement dévouées à leur colonie c’est pourquoi leur société est souvent considérée comme un super-organisme dont l’architecture, l’organisation, et la régulation sont parfaitement gérées, et ce, grâce à un mode de communication complexe par phéromones. Les avantages de cette vie sociale sont l’augmentation de l’efficacité, de la fiabilité et l’émergence d’adaptations nouvelles. Les désavantages sont de potentielles épidémies catastrophiques, le parasitisme (réalisé par les fourmis esclavagistes par exemple) et une fragilité de certaines phases du cycle biologique (voir WILSON & HÖLLDOBLER, 2009).

Adaptations, coévolution et équilibre

Qu’est-ce que la coévolution ?

Symbiose entre une colonie de fourmis Azteca et la plante Cordia nodosa
Les fourmis protègent la plante des herbivores en échange d’un logement. On voit la reine entourée de son couvain.

Ce concept pourrait se traduire par une évolution simultanée : des actions interspécifiques réciproques exercent des pressions de sélection sur chaque partie (interactions proie-prédateur, parasitisme, mutualisme…). De cette manière, la coévolution peut s’observer à différents niveaux biologiques, du microscopique au macroscopique. En ce qui concerne les fourmis, il existe de nombreux exemples de coévolution comme le mutualisme ; les deux espèces en interaction se bénéficient mutuellement, formant ainsi un système équilibré dans lequel chacun dépend de l’autre.
Les fourmis se sont particulièrement bien adaptées à leur environnement biotique par ce processus.

Quelques exemples :

1- Barteria fistulosa est un arbuste (famille des Passifloraceae) qui apporte gîte et couvert aux fourmis : ses branches creuses offrent à la colonie une structure adaptée. De plus, l’arbre (jeunes feuilles et tronc) est parsemé de glandes à nectar que les fourmis Tetraponera aethiops récoltent à longueur de journée. Les plantes offrant ces logements naturels sont appelées myrmécophytes. En échange, la fourmi protège la plante contre les agressions : herbivores, insectes, plantes…

2- Les fourmis tisserandes, Oecophylla, sont un autre exemple de mutualisme. Elles ont démontré leur pouvoir de protection grâce à des nids pouvant dépasser le million d’individus. Elles exercent ainsi une défense particulièrement efficace ; celles-ci ont même été testée sur les plantations de cocotiers, de caféiers et d’eucalyptus (WAY & KHOO, 1992).

Les fourmis Oecophylla attaquent l’intrus qui a eu le malheur de pénétrer sur leur arbre

« La plante sans sa fourmi vit mal, et la fourmi sans sa plante ne peut vivre » (Y. Collet).

Fourmis Atta sur leur champignon

3- Les fourmis champignonnistes (Atta cephalotes) sont aussi un exemple de mutualisme mais poussé à l’extrême, on appelle cette coopération la symbiose. En effet, l’interdépendance avec le champignon est absolue. L’alimentation des larves de fourmi provient exclusivement du champignon et ce champignon existe uniquement au sein de ces colonies. Ces nids sont souvent spectaculaires avec une surface pouvant atteindre 600 mètres carré et dont les chambres souterraines peuvent s’enfoncer jusqu’à 6 mètres de profondeur ; tout cela étant réalisé sans plan ni donneur d’ordre. Chaque nid récolte et traite des centaines de kilogrammes de végétaux. On estime que 10 tonnes de terre par hectare et par an sont remontées à la surface dans les biotopes les plus actifs (PATON et al., 1995).

4- En dehors de ces adaptations comportementales, on note également des adaptations morphologiques, comme chez Colobopsis. Cette espèce a la particularité d’avoir une tête aplatie, lui permettant ainsi de boucher l’entrée des tiges creuses qui lui servent d’abri (JOLIVET, 1986).

Ces divers processus se sont développés au cours de l’évolution, rendant les fourmis bénéfiques pour l’hygiène des forêts. Elles sont actuellement considérées comme les meilleurs agents aérateurs du sol et sont d’excellentes détritivores. En accumulant les restes consommés elles enrichissent le sol en carbone, en azote et en phosphore. Lyford (1963) a mesuré le rôle de distribution des nutriments dans les forêts du Massachussetts et observe que cette distribution conditionne la vie et dirige l’évolution d’innombrables plantes et animaux. Les relations coévolutives qu’elles entretiennent avec les plantes font que 40 à 80% de la flore tropicale dépend directement ou indirectement des fourmis pour leur protection et pour la dissémination de leurs graines. Leur rôle nécrophage est également très important puisque 90% des insectes qui meurent dans la nature sont ramenés dans un nid de fourmis.

Quelques chiffres :

ça travaille dur chez les Atta cephalotes !

Le rôle écologique des fourmis paraît donc à la mesure de leur nombre. Pavan (1959) a estimé que l’ensemble des fourmis rousses des Alpes italiennes capturent 24000 tonnes de nourriture, dont 14500 tonnes d’insectes, en 200 jours d’activité. En Allemagne, la prédation annuelle exercée par un seul nid d’importance moyenne de Formica polyctena est estimée à 8 millions d’insectes (WELLENSTEIN, 1952).

L’importance écologique de ces animaux est indéniable, et ce, autant par l’observation de leurs adaptations et de leur rôle dans la nature que par leur ancienneté. Les plus anciens fossiles de fourmis ont 140 millions d’années, nous faisant ainsi remonter au Crétacé ; époque des Dinosaures gigantesques tels que les sauropodes quadrupèdes et les tyrannosauridés bipèdes. Ces fossiles se rencontrent principalement dans l’ambre (résine végétale fossilisée) dont les gisements sont distribués sur tous les continents. Selon Wilson (1988), les fourmis sont apparues dans les écosystèmes tropicaux à partir d’ancêtres solitaires proches des guêpes. Elles auraient ensuite dérivé d’un model familial ancestral en se différenciant en un grand nombre d’espèces (toutes sociales) que l’on rencontre aujourd’hui sur tous les continents (exceptés l’Antartique et le Groenland) et par conséquent, sous presque tous les climats.

Quel devenir...

Les fourmis sont donc particulièrement anciennes comparé à l’apparition des premiers hominidés (il y a environ 6.5 millions d’années). Leur capacité de survie et d’adaptation est fabuleuse. Aujourd’hui, les fourmis sont certainement les insectes les plus performants et les plus répandus.
Mais n’oublions pas qu’elles peuvent aussi avoir un rôle destructeur pour certains écosystèmes. L’importation en Europe de la fourmi d’Argentine, Linepithema humile, appelée « fourmi peste » fait actuellement des dégâts considérables dans le bassin méditerranéen.

Un soldat, Eciton Burchellii, brandit ses mandibules crochues !

Toutes ces observations nous amènent à penser que le règne de la fourmi est loin d’être terminé. Si une catastrophe nucléaire devait avoir lieu, les espèces qui seraient les plus aptes à survivre seraient celles qui ne seraient pas directement dépendantes de la photosynthèse. Ainsi, dans un tel contexte, les animaux se nourrissant principalement de matière organique et leurs prédateurs seraient privilégiés. Les fourmis seraient particulièrement capables de récolter les petits fragments de ces ressources éparpillées. De plus, l’expérience de Le Masne et Bonavita-Cougourdan (1972), pratiquée sur la myrmécofaune méditerranéenne exposée pendant 11 mois à une source radioactive (Césium-137), a montré que ces animaux ne sont en aucun cas perturbés par les irradiations prolongées en raison de leur nidification souterraine ; de quoi penser que leur chemin évolutif est loin d’être terminé.

Vol nuptial chez Acromyrmex versicolor

Notre environnement fourmille de vie et d’adaptations incroyables et les fourmis en sont un bon exemple ; leur réussite est totale.
Pour conclure il me vient deux citations que je pourrais coller l’une après l’autre : « La vie a plus d’imagination que n’en portent nos rêves » (Cristobal Colon), « on pourrait ainsi passer une vie entière à faire, autour du tronc d’un arbre, un voyage digne de Magellan. » (Edward O. Wilson)

Références bibliographiques

CHARNOV E. L. 1978. Evolution of eusocial behavior : Offspring choice or parental parasitism ? Journal of Theoretical Biology. 75 : 451-465.

HAMILTON W. D. 1964. The genetical evolution of social behaviour. I. Journal of Theoretical Biology. 7 : 1-16.

HÖLLDOBLER B. and WILSON E. O. 2009. The superorganism : The beauty, elegance, and strangeness of insect societies. WW Norton & Company.

HÖLLDOBLER B. and WILSON E. O. 1990. The ants. Belknap Press.

HURST G. D., HAMMARTON T. C., BANDI C., MAJERUS T. M., BERTRAND D. and MAJERUS M. E. 1997. The diversity of inherited parasites of insects : The male-killing agent of the ladybird beetle coleomegilla maculata is a member of the flavobacteria. Genetical research. 70 : 1-6.

JOLIVET P. and SCHNELL R. 1986. Les fourmis et les plantes : Un exemple de coévolution. Société nouvelle des éditions Boubée.

LE MASNE G. and BONAVITA-COUGOURDAN A. 1972. Premiers résultats d’une irradiation prolongée au césium sur les populations de fourmis, en haute-provence.

LYFORD W. H. 1963. Importance of ants to brown podzolic soil genesis in new england. Harvard University, Harvard Forest.

PARENTI U. 1969. A la découverte des insectes. Grange Batelière, Paris.

PASSERA L. and ARON S. 2005. Les fourmis : Comportement, organisation sociale et évolution. NRC Research Press.

PATON T. R. 1995. Soils : A new global view. CRC.

PAVAN M. 1959. Attività italiana per la lotta biologica con formiche del gruppo formica rufa contro gli insetti dannosi alle foreste.

WAY M. and KHOO K. 1992. Role of ants in pest management. Annual Review of Entomology. 37 : 479-503.

WELLENSTEIN G. 1952. Zur ernâhrungsbiologie der roten waldameise formica rufa l.

WEST-EBERHARD M. J. 1987. The epigenetical origins of insect sociality. Chemistry and biology of social insects. 369-372.

WILSON E. O. 1988. The current status of ant taxonomy. Advances in Myrmecology. EJ Brill : New York : 3-10.

Toutes les photos proviennent du site http://www.alexanderwild.com/

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