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L'insolite intelligence des plantes

Il s'avère encore délicat de parler d'intelligence en dehors du monde animal. Cependant, lorsqu'on s'intéresse au monde végétal, nous ne pouvons que nous émerveiller face aux ingénieuses stratégies trouvées par cette catégorie d'être vivants ! Cet article présente quelques exemples de « comportement » chez les végétaux qui pourraient nous amener à reconsidérer notre conception de leur intelligence. Voir descriptif détaillé

L'insolite intelligence des plantes

Il s'avère encore délicat de parler d'intelligence en dehors du monde animal. Cependant, lorsqu'on s'intéresse au monde végétal, nous ne pouvons que nous émerveiller face aux ingénieuses stratégies trouvées par cette catégorie d'être vivants ! Cet article présente quelques exemples de « comportement » chez les végétaux qui pourraient nous amener à reconsidérer notre conception de leur intelligence. Voir descriptif détaillé

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Introduction

L’insolite intelligence des plantes

Le Projet

Des êtres vivants souvent sous-estimés

Malgré le fait que les plantes soient les producteurs primaires à la base des chaines alimentaires et qu’elles constituent environ 90 % de la biomasse planétaire (Foundation for Alternative Energy [FAE]), le regard que nous portons sur elles n’est pas toujours très valorisant. Historiquement, nous avons tendance à sous-estimer cette catégorie d’êtres vivants. Elles ont même été oubliées lors du récit du déluge selon la Genèse dans la Bible quand Le Seigneur ordonne à Noé d’emmener avec lui un mâle et une femelle de chaque espèce d’être vivant. Mais les plantes ne sont même pas mentionnées ! (Genèse 7,1-8,22).
Pourtant, aussi discrètes paraissent-elles, les plantes témoignent d’une capacité d’adaptation extraordinaire ! De plus en plus, on se retrouve démunis face à des faits avérés qui remettent en cause nos façons de les percevoir. Certains chercheurs se demandent même si les plantes sont dotées d’intelligence. S’agirait-il d’une intelligence semblable à celle des hommes ?
Il s’avère encore délicat de parler d’intelligence en dehors de l’humain et même en dehors du monde animal. Néanmoins, il existe plusieurs définitions d’intelligence, Sternberg et Salter l’ont décrite en 1982 comme un comportement adaptatif orienté vers un but (Goal oriented behaviour). Si l’on considère alors que la définition est suffisamment générale pour décrire tous les objets vivants qui sont capables de répondre à un environnement qui les stimule pour résoudre des problèmes, les plantes ont des caractéristiques qui révèlent une intelligence incroyable. Même si nous nous aventurons dans le domaine de l’apprentissage, de la mémoire, de la perception de soi et de l’environnement et de la communication ; les plantes auraient beaucoup plus à nous apprendre que ce que l’on croit.

L’immobilisme des végétaux à la source d’une sensibilité extrême ?

Une des raisons pour lesquelles nous tendons à sous-estimer les plantes est certainement associée à leur caractère immobile et leur apparente absence de mouvement. Néanmoins, certaines plantes peuvent nous surprendre par la rapidité de leurs mouvements. C’est le cas de la Sensitive (Mimosa pudique) et des plantes carnivores telles que la Dionée attrape mouche (Dionaea muscipula), qui sont dotées d’une sensibilité mécanique et se referment au moindre contact. Nous avons même une plante qui danse : Codariocalyx motorius. Lorsqu’elle est stimulée par certains sons, elle accentue les mouvements de ses feuilles qui dessinent des formes elliptiques (Szubryt, 2014).

Mimosa pudica
La sensitive réagit en renfermant ses feuilles au moindre contact !
Dionaea muscipula
Cette plante carnivore capture des insectes avec son piège actif à mâchoire.
Codariocalyx motorius
Souvent appelée aussi Desmodium gyrans. Cette plante réagit à la musique !

Les mouvements rapides de ces trois exemples ne manquent pas de nous étonner. Mais il faut savoir que toutes les plantes sont capables de motricité, il s’agit seulement d’une cadence différente à celle du monde animal. Des travaux récents montrent que les plantes ont une proprioception, c’est-à-dire un sens de leur propre forme. Les animaux, et donc les humains, en sont aussi dotés. En effet, en plus de nos cinq sens, nous sentons la déformation de nos muscles et celle de nos tendons. Ces informations, complétées par d’autres comme la pression sous nos pieds, notre environnement visuel et la position de notre oreille interne, nous renseignent sur notre posture. Les plantes à leur tour, ont des capteurs de déformation qui perçoivent leur courbure à tout endroit. En même temps elles perçoivent la gravité, grâce à un système complexe des grains d’amidon circulant dans certaines cellules racinaires qui sédimentent selon l’inclinaison du sol. Cette proprioception permet aux végétaux de contrôler leurs mouvements, de corriger et réorienter leur posture en adaptant leur croissance (Bastien et al. 2013). En effet, une plante croît en permanence : sa masse, son port, les courbures de ses éléments varient sans arrêt au cours de sa vie. Sans information posturale ni réaction motrice appropriée, la station verticale serait impossible. Selon Bruno Moulia, directeur de recherche à l’INRA on a affaire à une proprioception très élaborée et presque aussi complète que chez les êtres humains !

Statolithes dans la racine
Les statolithes sont des amyloplastes (organites cellulaires qui stockent de l’amidon) spécialisés qui sédimentent dans le sens de la gravité. Ce mécanisme est impliqué dans la perception de la gravité chez les végétaux.
Foret courbée en Pologne
Plantés vers 1930, ces arbres ont grandi pendant 7 à 10 ans avant d’être plaqués par intervention mécanique. Les arbres ont ensuite poursuivi leur croissance en continuant à pousser vers le haut.

Ainsi, contraintes à rester enracinées à un endroit fixe les plantes ne peuvent pas se déplacer pour rechercher leur alimentation, ni pour fuir leurs prédateurs ou des conditions environnementales défavorables. Elles doivent faire face à toute sorte de problèmes, s’adapter et optimiser la façon dont elles utilisent leurs ressources pour maximiser leur probabilité de survie. Ce qui pourrait probablement expliquer que le génome humain contienne seulement 26 000 gènes en comparaison à celui du riz qui contient 50 000 gènes. En effet, comme plaisante le botaniste Francis Hallé dans le documentaire L’Esprit des plantes (Mitsch & Grison, 2013) : « Essayez de passer l’hiver les pieds dans l’eau froide à vous nourrir exclusivement de lumière et de CO2, et vous n’y arriverez pas ! Parce que vous n’avez pas l’équipement génétique suffisant. » En effet, fuir face à la difficulté semble finalement une solution beaucoup plus facile !

Culture de riz

Face à ces circonstances les végétaux ont développé une sensibilité à leur environnement extraordinaire. Des études sur les racines des plants de maïs ont montré que chaque apex de la racine est capable de détecter et de surveiller en continuité au moins 15 paramètres physiques et chimiques différents (Mancuso, 2010). Par exemple des gradients chimiques, champs magnétiques, pathogènes, métaux lourds, gravité... Elles seraient même capables de sentir les vibrations telles que les ondes sonores ! Ainsi, lorsqu’elles sont exposées à des fréquences supérieures à 200Hz les racines du maïs poussent vers la source du son. La raison de ce phénomène reste à élucider (Gagliano, Mancuso & Robert, 2012).

Sensibilité aux ondes sonores
Lorsqu’elles sont exposées à certains sons, les racines de ces jeunes pousses de maïs orientent leur croissance vers la source des ondes sonores.

Les travaux de Bruno Moulia ont également montré que des plantes perçoivent la lumière réfléchie par des plantes voisines grâce à des capteurs : des pigments photosensibles proches de ceux de nos yeux Les végétaux détectent la modification de la composition spectrale et adaptent leur croissance pour « échapper » à la concurrence avant même d’être à l’ombre (Pour la Science, 2012). Elles peuvent aussi distinguer s’il s’agit d’une voisine plante ou d’une non plante (une pierre, par exemple).

Capacités de mémoire et d’apprentissage

En plus de leur sensibilité exceptionnelle les végétaux seraient dotés d’une certaine mémoire et d’une capacité à apprendre de leurs expériences.
Si une plante perçoit un stimulus auquel elle a été préalablement soumise, sa réponse sera plus forte. Ainsi, une stimulation environnementale conduit à un stockage d’information. Ce phénomène peut être illustré par l’exemple des plants de tabac sur lesquels a été mimée l’attaque d’un insecte (en vaporisant du methyl-jasmonate). Sa première réponse défensive a été la production de nicotine. Après une seconde exposition à ce produit, la production de nicotine s’est révélée plus rapide, démontrant ainsi la capacité de « mémoire » de la plante afin de rendre plus efficace sa réponse (Thellier cité par Rosset, 2012).

D’autres expériences ont permis à une équipe de scientifiques d’apprendre à un mimosa de ne pas se refermer lorsqu’il s’agit d’un stimulus non dangereux. De plus, les plants ont réussi à maintenir cette information pour 40 jours durant ! Alors qu’en moyenne la mémoire des insectes dure seulement 24 heures (Gagliano, Depczynski, Mancuso & Renton, 2014).

Les chercheurs ont fait tomber des dizaines de fois des plants de mimosa d’une hauteur de 1,5m. En tombant, les plantes secouées refermaient leurs feuilles.
Après 60 tombées successives, un nombre significatif des mimosas a cessé de réagir. Les plantes auraient elles « compris » que cette tombée ne représente pas un véritable danger pour elles ?

Des moyens de communication surprenants !

La communication au sein du monde végétal est une des choses les plus surprenantes. On connaît actuellement plusieurs messagers chimiques, tels le jasmonate ou l’éthylène qui sont échangés entre individus. Un exemple très connu a été dévoilé en Namibie et en Afrique du Sud, où les antilopes koudous mangent les feuilles des acacias. Lorsque dans le but de les élever, des koudous ont été parqués dans des enclos d’acacias, ils sont tous morts ! Les autopsies ont révélé qu’ils ne digéraient pas les feuilles qui étaient recouvertes de tanins. Lorsqu’il est dérangé, un acacia produit ces molécules toxiques mais émet également de l’éthylène qui signale aux autres arbres le danger : qui fabriquent des tanins à leur tour même avant d’être attaqués eux-mêmes. En liberté, les koudous évitent cet inconvénient en remontant le vent, vers des arbres qui n’ont pas été alertés (Mitsch, 2013).

Un koudou mange des feuilles d’Acacia

D’autres voies de communication existent, par exemple celles formées par les mycéliums de champignons en symbiose avec les arbres des forêts. Tous les arbres de toutes les forêts du monde dépendent des symbioses qu’on appelle mycorhyzes (myco : champi, rhyze : racine) pour survivre. Lorsqu’une graine commence à pousser elle envoie des signaux chimiques qui attirent les champignons pour qu’ils poussent vers la racine. Le champignon communique à son tour de façon à attirer la racine vers lui et ainsi commence leur connexion (Simard, 2013). Cette association permettra aux champignons, qui ne photo-synthétisent pas, de prendre le carbone issu de la photosynthèse. En échange le champignon donne à la plante des nutriments et de l’eau qu’il prélève là où les racines ne peuvent pas pousser.

Mycorhyzes

Au fur et a mesure que les champignons poussent sous le sol, ils relient des plantes et des arbres jusqu’à ce que la totalité de la forêt soit reliée ensemble. Ainsi, un seul arbre peut être lié à des centaines d’autres. Les recherches de Suzanne Simard ont montré qu’à travers ces réseaux les arbres non seulement interagissent entre eux mais ils s’entraident. Par exemple, lorsque les plus jeunes pousses sont stressées par la sécheresse, les arbres-mères (des grands arbres particulièrement actifs avec un vaste réseau de racines) envoient leur soutien en carbone organique. Ce qui est encore plus étonnant est que ces arbres-mères vont aider préférentiellement leur propre descendance ! Ces mécanismes, qui nous font songer à la solidarité qui peut avoir lieu au sein de nos familles, s’opposent à la vision de concurrence entre les individus de ces écosystèmes.

Les mycorhyzes sont à la base des réseaux souterrains analogues à nos réseaux neuronaux ou nos réseaux sociaux.
Les arbres dans la forêt communiquent et s’entraident.

A-t-on besoin d’un cerveau pour être intelligent ?

Un autre fait qui pourrait expliquer notre scepticisme à l’égard de l’intelligence des plantes est que l’on a tendance à associer intelligence et cerveau. Les plantes sont capables de détoxifier sans foie, de respirer sans poumons, de digérer sans intestin, etc. Pourquoi auraient elles besoin d’un cerveau pour être intelligentes ?
Certains chercheurs s’intéressent de près à ces questions et cherchent le cerveau des plantes s’inscrivant au sein d’une discipline émergente : la « neurobiologie végétale » (Mitsch, 2013). Les plantes savent quand rentrer en floraison ou en dormance, ce sont des décisions très importantes et l’ensemble de l’organisme doit réagir de manière synchronisée. On cherche alors quel est l’organe intégrateur des informations, un centre de commande de la plante. Car pour avoir une réponse globale il y aurait une centralisation des données et après traitement de l’information un consensus qui se dégage.

Dans son livre : Le pouvoir du mouvement dans les plantes, Charles Darwin, le célèbre naturaliste, évoque pour la première fois l’idée de la racine-cerveau. Les neurobiologistes sont en train d’étudier les sols et la recherche aujourd’hui semble confirmer l’intuition de Darwin. En effet, on a découvert une zone avec un fonctionnement physiologique intéressant derrière la pointe de la racine : la zone de transition.

Schéma d’extrémité racinaire

On remarque dans cette zone la présence des potentiels d’action ainsi que la consommation d’oxygène la plus importante de toute la plante. De plus, dans la pointe racine, l’auxine provoque une réaction en chaine à la manière d’un neurotransmetteur provocant une signal électrique dans les cellules voisines. Cette manière d’opérer est très semblable aux synapses des neurones chez les animaux (Baluska et al., 2004). Il est encore précipité de parler de cerveau chez les plantes et la neurobiologie reste une discipline marginale. Néanmoins, ces résultats nous amènent à dire que probablement le réseau neuronal du cerveau trouverait une analogie dans le réseau radiculaire développé chez les végétaux dans les profondeurs du sol.

Un changement de paradigme en route ?

Les exemples cités dans cet article ne sont qu’un petit échantillon au sein d’un vaste champ de faits insolites et surprenants. Certes, l’idée d’une intelligence végétale s’oppose à la vision du monde qui pose l’homme au sommet de la création. Mais comme nous avons pu le voir à travers ces quelques exemples nos voisins les végétaux, anciens habitants de la terre, témoignent d’élégance et d’ingéniosité débordante dans leurs stratégies d’adaptation à la survie.

Certains pourraient voir dans l’attribution des adjectifs relevant de l’intelligence ou de la conscience aux plantes un ethnocentrisme appliqué à des phénomènes sophistiqués d’une toute autre nature. Néanmoins, d’autres scientifiques comme Stéphane Mancuso parlent plutôt des degrés ou d’unités d’intelligence et de conscience qui varieraient selon les organismes. Pour lui ce sont des phénomènes d’ordre biologique à même titre que la reproduction qui devraient être étudiés comme tels. En faisant allusion au projet SETI (Search for Extra-Terrestrial Intelligence) Eduard Punset (REDES, 2011) se pose la question : Comment peut on envisager de découvrir d’autres formes de vie intelligentes á l’extérieur de notre planète projet si l’on n’est même pas capables de reconnaitre une intelligence voisine ? Sachant qu’il y a plusieurs siècles les animaux étaient considérés comme des automates, pourrions nous être en train de vivre les amorces d’un changement de paradigme concernant l’intelligence du vivant en général ?

Références Bibliographiques

Baluška F., Mancuso S., Volkmann S., et Barlow P. (2004) Root apices as plant command centres : the unique ‘brain-like’status of the root apex transition zone.
Biologia, Bratislava, 59/Suppl. 13 : 7—19

Bastien R., Bohr T., Moulia B., Douady S., (2012) Unifying model of shoot gravitropism reveals proprioception as a central feature of posture control in plants. Recupéré en mars 201 depuis http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/art...

Foundation for Alternative Energy (FAE), Slovak Union of Nature and Landscape Protectors (SZOPK). Biomass : some basic data.
Récupéré le 1 mars 2016 depuis http://www.seps.sk/zp/fond/dieret/b...

Gagliano, M., Mancuso, S., Robert, D. (2012). Towards understanding plant bioacoustics. Trends in Plant Science, Vol. 17. 6 : 323-325.

Gagliano M., Depczynski M., Mancuso S.. Renton M., (2014). Experience teaches plants to learn faster and forget slower in environments where it matters. Oecologia

Mancuso S., (2010). The roots of plants intelligence. Conférence publiée par TEDGlobal. Récupéré en février 2016 depuis : https://www.ted.com/talks/stefano_m...

Mancuso S. interviewé par Punset E. (2011). Las raíces de la inteligencia de las plantas. Publié par REDES, Récupéré en mars 2016 depuis http://www.rtve.es/television/20101...

Mitsch J., Grison B., 2013. L’Esprit des plantes. Produit par K Production et ARTE France. Récupéré en mars 2016 depuis https://vimeo.com/95534223

Moulia B. (2012), La perception des plantes, entretien avec Bruno Moulia propos recueillis par Loïc Mangin, Les végétaux insolites, pour la science. [Version numérique] N° 77 Octobre-Décembre 2012, p:22-23

Rosset T. (2012). Même sans neurones les plantes mémorisent. Récupéré en mars 2016 depuis le site de l’université d’Angers : http://www.univ-angers.fr/_wrapped-...

Simard S., (2013). The networked beauty of forests. TEDed. Récupéré en mars 2016 depuis http://ed.ted.com/lessons/the-netwo...

Sternberg RJ. et Salter W. (1982). Handbook of human intelligence. Cambridge, UK : Cambridge University Press.

Szubryt A. (2014). The Dancing plant, Codariocalyx motorius, formerly Desmodium gyrans. Recuperé le 3 mars 2016 depuis https://austinbotany.wordpress.com/...

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